Méthodologie d’enquête pour l’observation d’une résidence ludique

Synthèse de stage de recherche – Lukas Gossot

Résiludique est un projet de recherche participative mené par une équipe de chercheur·e·s du milieu universitaire et d’organisations de la société civile, telles que des associations et des SCOP Il est porté au sein de l’université Paul-Valéry Montpellier 3 par plusieurs organismes et soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche dans le cadre des projets SAPS (Science Avec et Pour la Société). Ce projet d’une durée d’un an a pour objectif d’interroger les logiques de l’industrie du jeu, autant du jeu vidéo que du jeu de société, à travers le mouvement de l’ArtGame et ce qu’il propose d’original, d’expérimental en termes de mécaniques et de conditions de victoire.

Un des objectifs du projet est de construire des méthodologies d’observations pour des événements créatifs et participatifs tels que les game jam ou les résidences ludiques. Fin juin 2023, nous avons organisé des “Rencontres Créatives sur le jeu” dont les participant·e·s étaient issus de différents univers professionnels du monde du jeu (game designers, auteurs de jeux de société, ludothécaires, animateurs dans des associations de jeu et bars à jeux, user researchers et chercheurs dans le domaine du jeu.). Lors de ces rencontres créatives, nous avons utilisé plusieurs méthodes d’observation issues des outils classiques de l’enquête sociologique, adaptées aux exigences de l’étude. Cet article rend compte de ces méthodes, des adaptations, et des premiers résultats observés.

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L’enquête mise en place dans Résiludique a cette spécificité de combiner la mobilisation de connaissance en sociologie mais également en Game Design. Les sources convoquées en sociologie s’appuient sur les travaux de Theodore Caplow, auteur de L’Enquête Sociologique (1970) et professeur à l’université de Columbia, ainsi que Jean-Claude Combessi, auteur de La méthode en sociologie (2007) et professeur à l’université Paris VIII. La première démarche a été de proposer un cadrage méthodologique à travers ces deux ouvrages sur le projet entre observations de terrain, entretiens, questionnaires, outils qui sont présentés par Caplow et Combessi.

Le recueil des données se compose de deux parties : (1) d’abord l’observation de terrain, sur deux journées de 7h (Rencontres Créatives sur le Jeu), (2) le questionnaire pour des données qualitatives quantitatives plus globales réalisé à l’issue de l’événement. Une troisième partie recouvrant une série d’entretiens plus approfondis avec des profils ciblés des Rencontres Créatives n’a finalement pas pu être menée, faute de temps.

Préalable : le terrain d’observation (Rencontre créatives) et la cohorte (professionnels du secteur ludique ; n=24).

L’élaboration de la méthodologie d’enquête ne peut être réfléchie qu’en corrélation avec l’échantillon des participant·e·s déjà en partie défini sur leurs axes professionnels et leurs formations. Le monde ludique étant composé d’acteur·ice·s très divers, nous sommes conscient que notre échantillon ne peut être représentatif de l’entièreté de l’industrie. Cependant, pour atteindre une représentativité même partielle, nous avons sollicités différents réseaux associatifs, universitaires. L’invitation à l’événement Rencontres Créatives sur le Jeu #1 a aussi été envoyée sur des listes de diffusions des associations, ou via des groupes sur différents réseaux (Discord par exemple). Par ailleurs, certain·e·s participant·e·s sont venu·e·s sur invitation personnelle, car particulièrement investi·e·s dans leur domaine respectif. Malgré tout, nous étions limités pour des questions matérielles à une vingtaine d’individus, car l’espace de l’événement ne pouvait en accueillir plus. Nous disposons donc d’un échantillon de 24 personnes pour cette enquête préparatoire, dont nous allons maintenant détailler la méthodologie.

L’observation de terrain

            L’observation de terrain en sociologie est l’étude des comportements ou des faits que l’on cherche à examiner directement dans les lieux où ils s’opèrent (par exemple : la place des femmes dans l’espace public). Il s’agit pour le chercheur de relever tout ce qui lui paraît entrer dans le cadre de son sujet, en restant le plus objectif possible sur les interprétations de ce qu’il observe.

            Il existe plusieurs manières d’observer, et toutes ne remplissent pas les mêmes objectifs. Tout d’abord, l’observation peut être indirecte, à travers l’étude d’une vidéo par exemple, mais elle sera le plus souvent directe, avec l’équipe de recherche présente sur place au moment où les faits se déroulent.

Ensuite, l’observation peut varier dans le degré de participation des chercheurs à leur terrain : l’observation participante voit le chercheur s’engager au même titre que les autres individus, mais il peut aussi être engagé au point d’apporter quelque chose en plus à l’activité ; il peut également se tenir à l’écart, interagissant ou non avec son sujet d’observation. Dans ce dernier cas, l’observation est dite non-participante. Le dernier aspect, moins présent en sociologie, est la systématisation de l’observation : à quel point le déroulé est ordonné par les chercheurs en amont de l’observation.

Pour notre étude, ces différentes méthodes ont été discutées parmi notre équipe et nous avons défini qu’une observation non-participante serait la plus pertinente, tout en restant disponible pour présenter la recherche et ses problématiques ouvertement dès le début de l’événement. Présenter notre sujet auprès de l’échantillon a été un choix délibéré et délicat pour deux raisons. Premièrement, nous tenions à éliminer un maximum de données « parasites », et permettre aux participant·es de mieux comprendre ce que l’on attendait d’elles et eux, autant sur la partie réflexion et création que sur les débats qui ont suivi. Deuxièmement, présenter le cadre de la recherche s’est orchestré autour d’un programme, d’un déroulé ordonné, afin de ne pas influencer les résultats, tout en canalisant les moments de pratiques et d’échanges entre les participant es.

Une fois cela défini, nous avons pu nous pencher sur l’organisation en propre de l’événement, à savoir les besoins matériels, financiers, mais aussi les idéaux-types de personnes que nous voulions voir participer, et leurs disponibilités au moment de l’événement. Puisque nous étions partis sur un format proche de la Game Jam (contexte de création ludique en temps limité autour de contraintes matérielles et thématiques), les sujets proposés à la réflexion des participant·e·s entrent aussi dans le cadre de notre problématique, ainsi que le déroulé de l’événement, car notre sujet appelait à une certaine systématisation de l’observation.

L’événement s’est déroulé en plusieurs moments :

• Une après-midi (3h) était réservée à un débat et une réflexion à plus grand nombre. Nous avons divisé les participant·e·s en deux groupes et lancé des discussions sur des questions ouvertes, permettant à chacun·e de s’exprimer sur des aspects de la recherche qui auraient pu ne pas être explorés. Ce fonctionnement a permis non seulement de nombreux échanges constructifs pour l’équipe de recherche, mais aussi pour les participant·e·s qui pourront par la suite intégrer ces réflexions dans leurs pratiques.
• Une journée entière (7h) consacrée à la création et à la réflexion : l’observation directe et non-participante visait à analyser les processus de création collective, les moments de censure, les désaccords, et l’idéation.
• Une matinée (2h30) de restitution par groupe : chacun·e faisait état des discussions et des idées proposées au reste des participant·e·s ainsi qu’à l’organisation (l’équipe de recherche et les bénévoles des associations partenaires).

Ces trois moments avaient pour objectif 1) de mettre en action les participant·e·s dans un contexte cadré, 2) de formaliser leur réflexion et création 3) de prendre de la distance et de mettre en relation l’apprentissage lors de cet événement avec leur pratique quotidienne autour du jeu.

Questionnaire

L’étape suivante dans notre enquête a été l’administration d’un questionnaire. Dans le cadre du temps de l’enquête préparatoire (1 an), un questionnaire a été mis en place permettant de faire des retours quantitatifs et qualitatifs à l’issue des Rencontres Créatives #1 à destination des participant·e·s. Une piste annexe aurait été, sur une durée plus longue, d’en réaliser deux : un second questionnaire plus ouvert que l’on partagerait en ligne pour une diffusion à plus grande échelle.

Concernant l’élaboration limité aux participant·e·s de notre événement (24 personnes), un premier découpage en plusieurs grandes parties a été élaboré permettant différentes catégorisations sur la recherche des données propres au projet : d’abord des questions sur la personne répondante, les éléments permettant d’établir un profil sociologique sommaire (nom, âge, genre, profession, parcours/formation pour en arriver dans le milieu, catégorie socio-professionnelle du ou des parents… ) ; ensuite, une seconde partie s’intéressant à la pratique du jeu chez les répondant·e·s, jeu de société et jeu vidéo, ce qui nous permet de mieux situer leurs opinions ; puis, la troisième partie reviennait sur l’expérience de l’événement organisé ; enfin, la dernière partie interrogeait sur les pratiques de création ou de sélection des jeux, car nous avions parmi les participant·e·s aussi bien des créateur·ice·s que des salarié·e·s de bar à jeux, ludothèques, etc., qui n’avaient pas le même rapport à leur profession.

La seconde partie du questionnaire avait pour objectif de mieux placer la personne dans son milieu, en s’intéressant à ses pratiques dans le cadre privé. D’abord, cela permettait, en affinant nos connaissances sur ses goûts en matière de jeu, de délimiter la culture ludique préalable à l’événement et à l’enquête, de mieux situer ses opinions sur les jeux mais aussi de mieux comprendre l’idée que se font les participant·e·s de notre sujet de recherche. Pour plus de lisibilité, cette partie a été subdivisée en deux, une page jeu de société et une page jeu vidéo, avec à chaque fois les mêmes questions : durée de la pratique, cadre social, type de jeux pratiqués en termes de questions à choix multiples.

La troisième partie explorait des hypothèses de recherches sur lesquels nous demandions aux participant.es de se positionner. Cette partie contient plus de questions ouvertes car elles demandent au ou à la répondant·e de donner un avis sur le déroulement des Rencontres Créatives, les contraintes de la recherche ou encore leur dynamique de groupe pendant les phases créatives.

Enfin, la dernière partie du questionnaire abordait les pratiques des participant.es dans le cadre professionnel et leurs liens avec l’Artgame ou les mécaniques ou les conditions de victoire alternatives ou originales. Les questions étaient différenciées en deux catégories, si le répondant se considère plutôt comme un·e créateur·ice de jeu ou plutôt dans la sélection à destination d‘un public, mais seul le vocabulaire des questions est modifié, leur finalité reste la même.

Si le questionnaire est un outil de choix pour disposer de données quantitatives, notre sujet de recherche questionne surtout l’opinion publique. Ainsi, le nombre de questions ouvertes (plus de la moitié des questions concernées dans les troisième et quatrième parties) permet une approche plus individuelle, à mettre en lien avec le parcours et la position occupée dans l’industrie au moment de la réponse, peut nous apporter des axes de réponses que nous n’avions pas envisagés.

Données

Lien vers les données brut questionnaire

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